Robert Noir (1864-1931) Mère et enfant, huile sur toile, 1912/1918

Cette huile sur toile intitulée «Mère et enfant» lors de l'exposition des œuvres de Robert Noir à la galerie Devambez en novembre 1918 a été peinte entre les années 1912/1918.

En effet, ses premières œuvres étaient signées «Ernest Noir», et après 1912, elles étaient signées «Robert Noir». Ce tableau appartient à la série des représentations des «petites gens». De même que Steinlein, Robert Noir s'intéressait essentiellement à l'expression de l'être humain. Ici, il insiste sur la lassitude à peine voilée d'une jeune mère. La douce pâleur du visage de la mère et de l'enfant équilibrent l'intensité des gris et du noir. Ce n'est pas le misérabilisme qui l'emporte. La mère est en robe décolletée, un foulard noué autour du cou, et fait preuve d'assurance méprisante pour le spectateur qu'elle ne regarde même pas. Robert Noir a utilisé ici une palette extrêmement sombre assez inhabituelle pour sa dominante noire. C'est l'ultime moment de la journée qui touche à sa fin : cependant la nuit semble déjà tombée privant l'artiste de la représentation distincte des personnages.

«Robert Noir, par de nombreux côtés de son inspiration et de son talent, m'a semblé avoir, en Art, des préoccupations analogues aux miennes. Si Robert Noir et moi différons profondément par les conclusions à en tirer, les mêmes aspects de la misère et de la souffrance humaine nous émeuvent et je crois qu'il y a en nous un fonds commun de pitié et de sensibilité révoltée.

Bien des silhouettes lamentables, bien des faces tragiques et désolées, aperçues dans la boue, le froid, la brume des rues, à la ville ou dans les carrefours équivoques et les lieux sinistres de la campagne nous bouleversent, et Robert Noir s’est attaché à en fixer les

expressions les plus émouvantes et dramatiques.

Robert Noir est convaincu, par exemple, que chaque tableau, suivant ce qu’il veut exprimer, doit avoir sa couleur et son exécution particulières, si l’on veut obtenir son maximum d'effet.

C'est là une règle qu'il s’est fixée. La plupart des peintres ne peuvent peindre qu'un seul genre de tableaux et même, en somme, qu’un seul tableau durant toute leur vie, parce qu'ils s’enferment dans une formule unique. Cette formule ne leur permet aucune liberté dans la conception. Ils en sont prisonniers.

Robert Noir se dit que la vie et la nature emploient tous les moyens pour s'exprimer et qu'on peut bien les imiter dans leur variété d'expressions.

C'est donc un dessein, la marque d’une volonté longuement réfléchie et préméditée.

Il en résulte que ses toiles et cartons sont souvent d'une exécution qui diffère de l’une à l’autre.

En outre, j'imagine que Robert Noir à peint des sujets âpres et rudes avec une sorte de violence, par horreur naturelle du « convenu », de la « sucrerie » et de « la boîte à bonbons ».

Ce qui me paraît remarquable encore dans son œuvre et peu commun, c'est le sens qu'il a du tragique et du comique intimement mêlés.

La vie lui apparaît comme un grand Carnaval bouffon et sinistre, ce qu’elle est le plus souvent.

Vraiment, quand on a bien observé les autres et soi-même, quand on a bien combattu et souffert, on ne peut éprouver qu'une grande pitié attendrie pour les illusions humaines, et on sort de là passablement désenchanté.

Quelquefois, dans ses œuvres, le tragique l'emporte sur le burlesque, affaire de tempérament sans doute, de moment, de sensibilité, de la durée même d'un coup de lumière éclairant, l’espace d'une seconde, un Etre ou un Paysage dont on reçoit une émotion qui ne s'effacera plus.

Et cette compréhension totale de la vie dans tous ses aspects, de la vie qu'il peint avec des moyens simples et directs dans une harmonie de tons et de mouvements très justes, rend pour moi l'œuvre de Noir profondément émouvante.» (Extraits de la préface de l'exposition d'œuvres de Robert Noir à la Galerie Devambez par Jehan Rictus, de son vrai nom Gabriel Randon de Saint-Amand (1867-1933), poète français célèbre pour ses œuvres composées dans la langue du peuple du Paris de son époque)